En mai 2024 Anaïs Jacques a soutenu sa thèse de l’École nationale des chartes intitulée « Une garantie de bon ordre. Inspecter les bibliothèques populaires, des origines à 1939 ». Ses recherches l’ont amenée à un véritable tour de France qu’elle nous raconte dans les lignes qui suivent. |
La difficulté de l’histoire des bibliothèques populaires réside principalement dans le fait que les sources sont réparties partout en France. De nombreux centres d’archives –départementaux ou municipaux – possèdent des cartons sur leurs bibliothèques. Travaillant sur l’inspection des bibliothèques populaires, j’ai essentiellement exploité les fonds des Archives nationales. Mais il était nécessaire de partir faire un « tour de France » pour tenter de trouver des documents pouvant davantage m’éclairer sur les visites diligentées par l’administration en province. Ainsi, à la manière des inspecteurs généraux des bibliothèques, je quitte Paris pour partir pendant deux semaines et demie à la recherche d’informations sur les bibliothèques populaires françaises. Mon périple me permettra de recueillir des sources introuvables à Paris, afin d’enrichir le propos de ma thèse d’école.
La première semaine de mon expédition se concentre sur le Nord-Ouest. Les villes ont été préalablement choisies sur deux critères : la certitude que les inspecteurs sont venus visiter des établissements et la présence de sources relatives aux bibliothèques populaires dans les cadres de classements des archives. Toutefois, comme pour tout sujet de recherche, il n’est pas certain que je trouve des éléments probants. Je vous emmène donc dans mon périple et partage avec vous, pour chaque jour, mes découvertes et mes déceptions.
16 octobre – Brest
J’ai voulu commencer par la ville aux airs du bout du monde. En consultant les fonds de l’Inspection générale, conservés aux Archives nationales, j’avais repéré que les bibliothèques populaires communales de Brest avait été inspectées plusieurs fois, et semblaient être bien organisées. En comparant avec le catalogue des archives municipales et communales, une cote, la 2R33, correspondait aux bibliothèques populaires municipales, à leurs statistiques et leur fonctionnement. Se rendre à Brest était donc un pari, puisque la description n’évoquait pas la présence de documents émanant du gouvernement.
La chance m’a souri, puisqu’une fois sur place, je me suis aperçue que le carton correspondant à l’histoire des bibliothèques populaires communales de Brest est complet et très bien documenté. En outre, l’histoire de l’existence de ces établissements est relativement longue, puisque la première bibliothèque populaire brestoise est fondée sur décision du conseil municipal, en juillet 1872. Les documents les plus récents faisant mention d’un tel établissement datent de 1955. Quatre bibliothèques ont existé pendant la période citée : la bibliothèque de Brest-Ville, à l’Hôtel de Ville, la bibliothèque de l’Annexion, la bibliothèque de la Recouvrance et enfin, la plus récente, la bibliothèque du Port de Commerce.
Malgré cette longévité impressionnante, la relation entre les bibliothèques populaires de Brest et le ministère de l’Instruction publique n’aurait duré que vingt ans, de 1884 à 1904. Elle commence par une lettre du sous-préfet au maire de Brest. Le haut-fonctionnaire indique que le gouvernement offre des concessions d’ouvrages aux bibliothèques populaires « récemment fondées ». Les établissements sont ouverts depuis 10 ans, mais peut-être que l’arrivée d’un nouveau maire, la même année, offre une nouvelle perspective. Quoi qu’il en soit, la collaboration entre la municipalité de Brest et du ministère de l’Instruction publique sera très active, puisque le maire enverra les rapports annuels des bibliothèques chaque année, les concessions seront régulières et les inspecteurs généraux viendront visiter les dépôts de 1898 à 1904.
Néanmoins, la gestion des bibliothèques populaires brestoises n’est pas optimale. Le bibliothécaire de la bibliothèque populaire de l’Hôtel de Ville, M. Millour, ainsi que le ministère, ne cessent d’alerter le maire, à travers leurs rapports, sur le manque de crédits. Le conseil municipal n’accorde que 550 francs, que les trois bibliothèques doivent se partager. Si bien qu’il est très difficile d’acquérir de nouveaux ouvrages – le renflouage du fonds se fait en grande partie par l’arrivée des concessions ministérielles. Fait intéressant, le bibliothécaire utilise très souvent l’inspecteur général comme argument d’autorité dans ses rapports annuels à la municipalité, si bien que l’on voit précisément l’appui que peut être l’Inspection générale pour améliorer les conditions des bibliothèques. Les traces de relation entre le gouvernement et la municipalité s’arrêtent en 1904, alors que le chargé de l’instruction publique de la mairie de Brest décide de déplacer les bibliothèques populaires dans des écoles, afin qu’elles deviennent des scolaires.
17 octobre – Quimper
Je me suis ensuite rendue aux archives départementales du Finistère. Mon idée était de compléter les informations récoltées sur Brest, par les documents que la Préfecture conservait, afin d’avoir une vision plus globale des relations entre le pouvoir central, le préfet, le maire et le bibliothécaire. De plus, le centre d’archives conservait des informations générales sur l’ensemble des bibliothèques populaires du département. J’ai eu donc quatre cotes à dépouiller, trois sur des généralités et une dédiée aux bibliothèques populaires de Brest. Cette dernière m’a permis de compléter les informations que j’avais pu récolter la veille, et établir de solides liens entre les différents acteurs. Les archives départementales relevant des fonds des préfets n’ont que des liens subsidiaires avec les bibliothèques populaires. Il n’y avait donc pas de documents relatifs à l’inspection de ces établissements. Toutefois, cette visite m’a été utile pour dénicher des informations sur les différentes enquêtes statistiques lancées par le ministère de l’Instruction publique, mais également les circulaires sur l’organisation des bibliothèques populaires. Ainsi, c’est la première fois que j’avais sous les yeux de réelles circulaires, qui m’ont éclairée sur d’autres aspects du contrôle des bibliothèques populaires par le préfet.
18 octobre – Nantes
J’ai quitté la Bretagne pour me rendre en Loire-Atlantique. J’avais beaucoup d’attentes pour Nantes, puisqu’il a été établi, jusque dans les années 1970, des bibliothèques libres qui étaient constituées par canton. La Loire-Atlantique a pour spécificité de compter une grande majorité de bibliothèques populaires libres, qui ont longtemps refusé l’aide du gouvernement. Pour le cas de Nantes, les archives de l’Inspection générale montrent que la relation entre le ministère de l’Instruction publique et la bibliothèque populaire du 5e canton – la plus importante – a été conflictuelle dans les années 1890. J’espérais donc trouver des documents qui explicitaient donc ce rapport tumultueux. Je ne me suis rendue qu’aux archives départementales, puisque les municipales n’ont pas de fonds sur les bibliothèques populaires libres nantaises. Comme pour les archives départementales du Finistère, j’ai dépouillé des cartons relatifs aux réglementations de l’administration centrale, aux différentes enquêtes statistiques, et aux demandes de concessions ministérielles des bibliothèques populaires. Ce sont les principaux fonds que l’on retrouve en archives départementales, puisque les préfets n’interagissaient avec les administrateurs des établissements que pour ces raisons.
Les fonds des archives départementales de la Loire-Atlantique étaient assez décevants, et confirment une pratique administrative formelle, accompagnée d’une indifférence nationale pour la lecture populaire. Les préfets ont un pouvoir sur les bibliothèques populaires, puisque ce sont eux qui doivent donner leur avis sur la possible obtention d’une concession ministérielle. Mais, au fur et à mesure de mes visites dans différentes archives départementales, j’observe que chaque centre d’archives possède les mêmes documents, car les préfets obéissaient de la même façon aux demandes du ministère de l’Instruction publique. J’ai toutefois eu la satisfaction personnelle de pouvoir lire la lettre d’un bibliothécaire qui dénonçait les concessions ministérielles, que j’évoquais dans mon mémoire, mais dont je ne connaissais pas le contenu précis.
J’ai fini de dépouiller mes cotes rapidement, si bien que j’avais l’après-midi libre. J’ai donc décidé de me rendre à la médiathèque municipale Jacques Demy, afin de consulter un travail universitaire pionnier pour les bibliothèques populaires locales. Il s’agit du mémoire de Sonia Bosc, sur la bibliothèque populaire centrale de Nantes1. Ce dernier est cité dans les différents ouvrages de Noé Richter, si bien que la postérité de la référence valait un coup d’œil. Sonia Bosc retrace l’histoire de la première bibliothèque populaire libre de Nantes, qui, dans ses premières années, pouvait être comparée au modèle des bibliothèques populaires des Amis de l’Instruction. Il ne m’a néanmoins pas apporté de nouvelles informations sur mon sujet d’étude, puisque la partie relative au contrôle de la bibliothèque par le gouvernement était déjà citée dans les Bibliothèques populaires de Richter.
19 et 20 octobre – Angers
Comme pour Brest, la ville d’Angers possédait un réseau de bibliothèques populaires communales qui, selon les sources des Archives nationales, avait été inspecté plusieurs fois. Les inventaires des archives départementales et municipales indiquaient des fonds, qui étaient nettement plus intéressants pour les municipales, puisqu’il y avait une mention d’une cote regroupant des procès-verbaux d’inspection générale. Par une recherche dans le Catalogue général de France, j’avais également repéré un mémoire sur les bibliothèques populaires du Maine-et-Loire, rédigé par Sandrine Bernard en 1998. Il est conservé à la médiathèque municipale d’Angers. Les recherches en Anjou s’avéraient donc prometteuses et chronophages, si bien que j’ai décidé de rester deux jours.
J’ai commencé par les archives départementales du Maine-et-Loire. Comme pour les précédentes, le résultat des recherches est assez décevant, dans le sens où il n’y avait pas de documents relatifs à l’inspection des bibliothèques populaires. J’ai néanmoins trouvé un rapport d’inspection, pour la bibliothèque municipale. Le ministère de l’Instruction publique précise qu’il l’envoie au préfet parce que la municipalité d’Angers ne voulait pas communiquer avec lui, et que le préfet pouvait être un appui pour forcer le maire à répondre et à appliquer les recommandations de l’Inspection générale. J’ai également pu lire des lettres du préfet aux bibliothèques populaires contredisant les politiques du gouvernement, qui pourront me servir dans l’argumentation de ma thèse.
Les archives municipales d’Angers étaient plus intéressantes. Je savais que je trouverai des rapports d’inspection, qui pourraient m’être utiles. J’ai beaucoup appris sur l’organisation du réseau des bibliothèques populaires municipales. Elles étaient au nombre de 5 à partir de 1899 et elles étaient administrées par le bibliothécaire en chef. Les bibliothèques populaires angevines étaient très fréquentées – près de 4000 visiteurs annuels pour la plus importante. Chaque inspection générale rendait compte d’une excellente gestion des bibliothèques populaires et les concessions ministérielles étaient courantes. Angers est donc un exemple concret pour illustrer la bonne relation entre le bibliothécaire, la municipalité et le gouvernement, puisque d’après les documents, la relation avec le ministère de l’Instruction publique semble très gratifiante et encourage le bibliothécaire à faire de son mieux.
Enfin, je me suis rendue à la bibliothèque municipale Toussaint d’Angers, qui conservait le mémoire de Sandrine Bernard2. J’ai été agréablement surprise par son contenu, qui m’a été bénéfique. En lisant la bibliographie, je me suis rendue compte que nous avions utilisé très souvent les mêmes références, et qu’elle en avait même étudié certaines dont je ne connaissais pas l’existence. Cela m’a donc permis d’alimenter mes recherches bibliographiques à venir. Sandrine Bernard a fait un travail en profondeur et a utilisé des sources archivistiques que je n’ai pas eu le temps de consulter, si bien que son propos a davantage éclairé mes recherches précédentes. Elle présente bien le réseau des bibliothèques populaires angevines, mais fait également des comparaisons avec les autres bibliothèques du Maine-et-Loire. De plus, elle consacre une sous-partie sur les formes de contrôles, ainsi que sur l’Inspection générale. Grâce à son mémoire, j’ai notamment relevé un élément qui remet en question une partie de mon argumentation. En effet, j’étais arrivée à la conclusion que les inspecteurs généraux des bibliothèques n’inspectaient pas les bibliothèques populaires de 1884 à 1888, puisque des chargés d’inspection exécutaient cette tâche. Or, Sandrine Bernard a trouvé un procès-verbal d’inspection signé par Ulysse Robert, qui atteste avoir inspecté la bibliothèque populaire de Segré en 1886. Cette inspection remet donc en cause toutes les croyances que j’ai pu avoir sur le fonctionnement de l’Inspection générale pendant cette période. Est-ce un cas isolé, ou bien les inspecteurs généraux visitaient-ils les bibliothèques populaires, malgré l’absence d’informations dans le fonds des Archives nationales ? Il est difficile de l’affirmer tant que je n’ai pas eu d’autres preuves d’inspection, mais cela soulève un problème d’organisation qu’il sera essentiel d’analyser dans ma thèse.
Cette première semaine a donc été inégale. Certains centres ne m’ont pas apporté de nouveaux axes de recherches, tandis que d’autres ont bouleversé certaines de mes croyances sur l’inspection des bibliothèques populaires. L’expérience est plutôt positive, puisqu’elle m’a également permis de visiter des villes qui m’étaient inconnues, ainsi que de rencontrer des conservateurs avec lesquels j’ai pu discuter de mon sujet. Il me tarde de repartir faire mes recherches dans de nouvelles villes pour trouver, peut-être, de nouvelles informations sur les bibliothèques populaires françaises !
- Lecture publique et mouvement d’idées à Nantes sous la IIIe République : étude de la bibliothèque populaire centrale de 1872 à 1914 / Sonia Bosc; sous la dir. de Pierre Dumonceaux. Mémoire de maîtrise : Lettres modernes : Nantes : 1975. [↩]
- Les bibliothèques populaires en Maine-et-Loire : de 1865 à 1915 / Sandrine Bernard, dir. Jacques-Guy Petit. Mém. maîtr. : histoire contemporaine : Angers : 1998. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Anaïs Jacques (9 septembre 2024). Tour de France des bibliothèques populaires (1/2). Bibliothèques populaires. Consulté le 14 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/129l7