En mai 2024 Anaïs Jacques a soutenu sa thèse de l’École nationale des chartes intitulée « Une garantie de bon ordre. Inspecter les bibliothèques populaires, des origines à 1939 ». Ses recherches l’ont amenée à un véritable tour de France qu’elle nous raconte dans les lignes qui suivent. Après la Bretagne et les pays de Loire (voir le précédent billet), elle visite le Sud-Est, Bordeaux et Marseille.

 

La deuxième semaine de mon périple se concentre sur le Sud-Est de la France, puisqu’en raison de l’histoire des bibliothèques populaires, Saint-Étienne et la Drôme étaient un passage obligé. J’ai également rajouté Marseille sur mon itinéraire, car elle est également une municipalité ayant possédé un réseau de bibliothèques populaires inspectées par le ministère de l’Instruction publique.

Je vous emmène avec moi à la recherche de nouvelles archives sur l’inspection des bibliothèques populaires

 

23 et 24 octobre – Saint-Étienne

            Saint-Étienne a une place importante et historique dans l’histoire des bibliothèques populaires. Ce carnet de recherche regroupe quelques billets sur le sujet (voir ici), qu’il est important de lire pour comprendre l’implication du gouvernement dans ces établissements. Toutefois, mon objectif était surtout de trouver des traces de l’inspection, puisque je savais, grâce aux dossiers de l’Inspection générale, que le réseau des bibliothèques populaires stéphanoises était mal administré. Des rapports négatifs de la part du ministère de l’Instruction publique sont rares, et il était intéressant de les consulter pour pouvoir les analyser. Je me suis donc rendue aux archives municipales, puis départementales.

            Les archives municipales possédaient plusieurs cartons sur les bibliothèques populaires libres et communales. J’ai également commandé le carton relatif aux bibliothèques municipales, afin de pouvoir comparer les politiques des deux catégories d’établissement. Les cartons des populaires comprennent quelques rapports d’inspection qui dénoncent les mauvaises conditions des bibliothèques. J’ai trouvé un document important et unique pour le développement d’une de mes parties, puisque l’un des bibliothécaires stéphanois se justifie sur la situation de sa bibliothèque et critique le ministère de l’Instruction publique. Étonnamment, on ne trouve pas la trace de concessions de livres de la part du gouvernement. La municipalité n’envoie pas non plus de rapports annuels pour les bibliothèques populaires, mais demandent à ses bibliothécaires de lui signaler quels sont les livres les plus lus par les lecteurs. Les bibliothèques populaires de Saint-Étienne ont donc un fonctionnement et une administration à part, et il conviendra d’en y consacrer des parties dans mon argumentation.

            Les archives départementales sont plus décevantes. Le cadre de classement n’indiquait pas de cotes réservées aux bibliothèques populaires, si ce n’est que pour la période 1868-1875. J’ai donc fait le choix de commander des cartons relatifs aux bibliothèques publiques. Je ne savais donc pas à l’avance s’il y avait des documents sur les bibliothèques populaires, pendant la période de mon sujet. En réalité, toutes les cotes concernaient les bibliothèques populaires, mais plus particulièrement celles des écoles publiques – à comprendre les bibliothèques scolaires. Un document a retenu plus particulièrement mon attention. Il s’agit d’un rapport d’inspection générale, sur les bibliothèques populaires et scolaires du département, qui a été produit par l’inspecteur Marius Topin, en 1880. C’était la première fois que j’avais sous les yeux un rapport du début des années 1880, qui est une période importante pour l’inspection des bibliothèques populaires. Topin est un personnage particulièrement ambivalent, dont sur lequel on ne dispose pas de beaucoup d’informations. Ces petites découvertes dans les différents centres d’archives permettent de développer progressivement mes parties.

25 octobre – Valence

            Je ne me suis rendue qu’aux archives départementales de la Drôme, puisque les municipales ne proposaient pas d’inventaires en ligne. Je n’avais que deux cartons à dépouiller, mais il s’est révélé que l’un était bien plus intéressant que l’autre. En effet, la cote 14 T 6/2A comportait des circulaires du ministère de l’Intérieur inédites qui dataient de 1874. L’une d’elle, du 10 janvier 1874, soit quatre jours après l’entrée en vigueur de l’inspection des bibliothèques populaires, expliquait en filigrane pourquoi l’État avait décidé de mettre en place cette mesure. Cette circulaire représente en quelque sorte la dernière pièce du puzzle pour comprendre la raison de l’inspection, et reste essentielle pour mon étude.

            De plus, j’ai trouvé un rapport du préfet qui détaille la tournée d’inspection de Marius Topin dans la Drôme pour 1879. Topin est un inspecteur général des bibliothèques populaires et scolaires sur lequel on ne trouve que peu d’informations sur sa carrière, puisqu’il a disparu en raison d’un scandale lié à sa vie privée. Son dossier est introuvable dans le fonds du ministère de l’Instruction publique, si bien que la partie que j’ai rédigée sur lui reposait surtout sur des sources de la presse. Par ce rapport, j’ai pu constater que l’inspecteur était loué aussi bien par les instituteurs que par le préfet, et que son action en faveur des bibliothèques populaires et scolaires a été bien plus importante qu’on pourrait le croire. Cela m’a permis de confronter les journaux catholiques qui le critiquaient avec de vraies sources administratives et en apprendre davantage sur le déroulement de ses tournées.

            Ce sont les deux informations capitales que j’ai pu tirer des archives de la Drôme. Elles restent incroyablement intéressantes et nécessaires pour compléter mon argumentation. Les archives de la Drôme étaient donc un choix crucial de ce tour de France

 

26 octobre – Marseille

            Après de telles découvertes, les sources de Marseille étaient bien plus décevantes. Je me suis d’abord rendue aux archives départementales des Bouches-du-Rhône, pour une cote qui comportait des informations sur les bibliothèques populaires et les demandes de concessions. Je n’avais pas grand espoir de trouver des informations intéressantes, mais la ville de Marseille possédait un réseau important de bibliothèques populaires communales. Avec de la chance, il y aurait pu se cacher quelques documents qui éclairciraient la relation entre les bibliothèques populaires marseillaises et le pouvoir central. Les archives départementales possédaient des documents attestant de concessions ministérielles et des informations sur le réseau communal, mais rien de bien novateur qui aurait constitué un exemple intéressant à développer dans la thèse.

            Comme j’ai terminé ce dépouillement dans la matinée, j’ai décidé de tenter quelques recherches aux archives municipales. En cherchant sur internet, je n’avais trouvé que des cotes qui contenaient des documents sur les bibliothèques populaires dans les années 1930. Je me suis donc concentrée sur la bibliothèque municipale, afin de recueillir des informations utiles pour comparer la situation entre les deux catégories de bibliothèques. Toutefois, la cote sur les bibliothèques municipale était relativement pauvre, si bien qu’en fin de compte, rien n’était intéressant pour mon sujet.

            Ainsi Marseille a été la première journée qui ne m’a réellement rien apporté, si ce n’est un peu de tourisme sous le soleil.

 

6 novembre – Bordeaux

            La fin de mon périple m’emmène à Bordeaux, considérée comme le un des berceaux des bibliothèques populaires en province. Une nouvelle fois, les archives municipales n’avaient pas de cotes intéressantes. Je me suis donc rendue aux archives départementales, mais également à la bibliothèque municipale, pour ficher un mémoire sur les bibliothèques populaires bordelaises, écrit par Lucile Badin¹. Le fonds des bibliothèques populaires des archives départementales était riche. Je me suis aperçue grâce aux nombreux dossiers à quel point ces établissements étaient répandus en Gironde. Ils comportaient en majorité des demandes de concessions ministérielles, fait intéressant pour mon sujet puisque j’ai pu utiliser certains exemples pour alimenter des parties sur l’intérêt que porte le ministère de l’Instruction publique aux bibliothèques populaires. Toutefois, ces documents sont communs dans les archives départementales françaises, et je n’ai pu trouver d’informations relatives aux inspecteurs généraux.

            Le mémoire de Lucile Badin retrace l’histoire des bibliothèques populaires bordelaises, de 1860 à 1895, mais également la diffusion de l’instruction populaire dans la ville. Elle nous en apprend plus sur les populaires de Bordeaux, au nombre de 3 en 1885, sur leur fonctionnement – qu’elle estime similaire aux autres établissements sur le territoire français – ainsi que sur leur déclin, dans les années 1890, du fait de « l’équilibre rompu entre les services offerts et la demande du public par les nouveaux besoins de la génération ».

            Ainsi se termine ce tour de France, fort enrichissant. J’ai pu visiter de nouvelles villes, voir du paysage, faire des rencontres très intéressantes et en apprendre davantage sur différentes bibliothèques populaires du territoire français. Malgré des déceptions, quelques découvertes ont été déterminantes pour mon sujet. Ces recherches me permettront de rédiger des parties entières de mon sujet, et de proposer un point de vue plus large sur la relation entre les bibliothèques populaires et l’État, qui ne se cantonnera désormais plus à la vision autocentrée du ministère de l’Instruction publique.

1. Les bibliothèques populaires à Bordeaux de 1864 à 1895 / Lucile Badin ; sous la direction de M. Marc Agostino. Mémoire de Maîtrise : Histoire contemporaine : Bordeaux 3 : 2002. [↩]

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